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jeudi, novembre 2
L'écharpe rouge
Je rentrai des Abbesses, l'autre
soir, arquebouté sur les pédales de mon vélo
tout neuf, quand au détour d'une allée je tombai
sur une femme, assise sur un tronc d'arbre. Elle buvait à
petites gorgées une soupe chaude, distribuée sans
doute par une Ong en maraude.
La
soupe fumait que c'en était un plaisir, mais ce tronc
d'arbre était bien solitaire. Je posais le pied à
terre et, doucement, pour ne pas l'effrayer, lui demandais si
elle avait envie que je reste un peu pour parler.
Vous dînez seul, des fois? Ou souvent?
Pour me payer des études
qui n'en finissaient pas, c'était la belle vie, j'ai parcouru
naguère, je préfère cela à
jadis, et chaque soir de 19 à 22 heures, les rues
et les avenues du 8ème et du 17ème arrondissement
, de chaque côté des Champs Elysées et de
l'avenue de Wagram. J'avais hérité d'une amie une
tournée convoitée d'un fameux journal du soir de
l'époque, le bien nommé France Soir. Il tirait
alors à plus d'un million d'exemplaires... C'était
donc au siècle dernier, il y a très très
longtemps.
Ces tournées
là , dites de prestige, se repassaient comme une
charge de notaire. Le journal avait alors la cote, les amateurs
attendaient la dernière édition avec impatience,
celle avec une étoile, celle qui révélait
les résultats des dernières courses de l'après
midi et les pronostics les plus avertis pour la séance
nocturne, et donnait en plus les cours de clôture de la
Bourse. France Info n'existait pas, on allait moins vite, mieux
je ne suis pas sûr.
Bref,
tout ça pour vous dire qu'au cours de cette tournée,
après avoir pris livraison, au coin de la rue Marbeuf,
des trente kilos de journaux que je balançais crânement
sur mon épaule, je remontais la rue du Colisée,
puis la rue de Ponthieu, La Boétie, etc jusqu'à
l'Etoile et poussais jusqu'à la place des Ternes
et retour. Mes clients habituels, en dehors des passants qui
passaient, m'attendaient sagement, qui au bar pour les amateurs
de 421, qui dans les arrière salles des restaurants pour
les cuisiniers et les plongeurs, qui dans sa porte cochère
pour les demoiselles de la rue de Tilsit ou dans leur cabriolet
pour celles qui avaient bien travaillé et réussi.
Chaque soir, chacun m'accueillait
d'un salut, d'un sourire, et souvent d'une pièce en plus
du prix marqué. Et à chaque fois, ma charge
s'allégeait d'autant. Un journal, ce n'est pas lourd,
mais deux cents... Heureusement, quelques bistrots acceptaient
de me servir de relais, sous le flipper. Je préférais
les Gotlieb aux William, une question de goût.
Dans un petit restaurant de la rue de Ponthieu,
je retrouvais chaque soir un monsieur très digne, septuagénaire
aux cheveux argentés, sapé comme un lord. Il avait
toujours fini de dîner quand j'arrivais et tricotait une
éternelle écharpe rouge. Ses doigts tordus par
l'arthrite s'acharnaient sur les aiguilles et il ne les posait
que pour me tendre la pièce et poser le journal sur le
coin de la table. Je crois bien qu'il ne le lisait pas.
Au début, devant mon regard
en coin vers l'écharpe et les aiguilles, il m'avait tendu
ses doigts en murmurant : "Cela leur fait du bien".
Le patron du restaurant avec
qui j'évoquais un soir mon client absent, avait murmuré
: "Ca lui arrive parfois de ne pas venir, une ou deux fois
par mois. C'est de dîner seul... tout le temps. Trop dur.
Alors il passe devant mais ne rentre pas. Il rentrera demain,
pour les aiguilles." Et il me montra l'écharpe rouge
et la pelote qu'il gardait sous le comptoir.
Un jour, j'ai dégotté un emploi stable,
mal payé mais déclaré, chauffé et
à l'abri, aux horaires nocturnes très commodes
pour les cours en fac que je suivais mollement la journée,
en somnolant pour récupérer.
Je repassais ma tournée à un
ami portugais réfugié politique, le service militaire
durait alors cinq ans dans son pays et il n'avait aucune envie
d'aller faire la guerre en Afrique de l'Est à des
gens qui ne lui avaient rien fait.
Je
n'ai jamais revu mon tricoteur. Mais il m'avait appris que le
plus difficile, ce n'était pas l'arthrite qui lui tordait
les doigts mais la solitude du repas, même pris en public
au milieu des autres.
Quant
à ma buveuse de soupe, elle a eu peur et s'est évanouie
dans les bois. Alors j'ai repris mon vélo et je suis rentré
chez moi.
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Expo
photo/sculpture : Budapest
C'est le mois de la
photo, et Paris bruisse d'expositions, des in et des off. Il faut avoir vu ça, courir ici,
parler de ceci, disserter sur cela...
Bon... Comme de toutes les façons j'irai voir
Doisneau et que j'ai encore le temps, j'ai décidé
de me recueillir un peu avant de m'élancer dans la mêlée.
Parce qu'il y a aussi des expositions
toutes simples comme celle qui se tient encore quelques jours
à l'espace
Beaurepaire, tout près du canal que j'aime, au 28
rue Beaurepaire jusqu'à dimanche soir (le 5 novembre
si vous préférez).
Le
thème? Budapest. Comme cette ville m'avait fasciné,
au cours d'une de ces longues pérégrinations pédestres
qui sont le lot des coureurs de bitume, j'ai poussé la
porte et bien m'en a pris.
Deux
photographes :
Sophie Mabille,
toute en noir et blanc, avec des gares, des coiffeurs, des ombres
et des clartés, superbe. Les photos sont regroupées
par paire, se répondent et s'interrogent, s'entrechoquent
parfois. C'est bien, c'est juste.
Philippe
Pons, tout en couleurs douces, avec les bains thermaux, une curiosité
de la ville, le bleu de leurs eaux et la transparence de leur
vapeur. Ces bains turcs, somptueux, auxquels se rend tout habitant
de Budapest qui se respecte, dégagent une atmosphère
très particulière, que j'ai retrouvé ici.
Et comme contrepoint à
ces deux visions, les sculptures d'Eric Dartois, qui séparent
et relient les univers de nos photographes, avec des formes humaines
tourmentées et comme figées dans un glacis végétal.
Cela m'a fait penser que Budapest fut un des hauts lieux de l'art
nouveau au début du vingtième siècle.
Tout ça pour nous rappeler
qu'une ville, dans sa complexité, renvoie toujours le
regard de celui qui l'observe. Comme une expo d'ailleurs.
J'ai bien aimé ces trois
regards là .
Allez-y
vite, plus que trois jours.
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mardi, octobre
31
Révérence
pour Aubade?
Le capitaine Cap n'a pas mâché
ses mots. Alors, comme ça pas une ligne? Tu publies les
petites pubs avec complaisance mais quand les ouvrières
des usines de La Trimouille ou de Saint-Savin risquent de perdre
leur boulot, plus personne? Il a bonne mine l'oncle tom!
Bon...Ok pour la mine, merci,
mais que dire?
Mon grand-père
était comme Jean Pierre Marielle dans "Les Galetes
de Pont-Aven" : voyageur de commerce, sauf que ce n'était
pas des parapluies qu'il déballait devant l'oeil émerveillé
de ses clients mais des sous vêtement féminins.
Ca c'était dans la vie civile, car dans l'armée,
il était dragon, un vrai dragon avec cuirasse, casque,
crinière et cheval. Je le vois encore en photo, à
la veille de la grande guerre, prêt à s'élancer
dans la campagne pour envahir la Prusse... Un autre monde, pas
vrai?
J'entends des ricanements
dans mon dos "Hin, hin, hin ça explique finalement
beaucoup de choses..."
Ah
bon? Oui, oui, peut-être, quoique le côté
dragon, à part le tournoi des sorciers du jeune
Potter, je ne vois pas.
Bon
revenons à Aubade. C'est vrai que depuis un an les
petites campagnes de pub dans les magazines se font rares, j'en
avais déjà parlé. Aujourd'hui on comprend
mieux.
Alors que faire? Pour
la Panse de l'Ours, il faut être réaliste. Sa capacité
de mobilisation pour sauver l'entreprise est nulle. Les types
(ou les nanas, il y en a beaucoup) qui vont sur les pages consacrées
aux Leçons y viennent pour apaiser un bref moment de déprime,
satisfaire un appétit soudain d'esthétisme ou pour
certains, certainement plus nombreux, un lancinant appel du loup
le soir au fond des bois, pas pour mettre au point un plan de
sauvegarde de l'emploi.
On
peut aussi se demander si un appel massif à la consommation
de sous-vêtements aurait un impact suffisant sur les ventes
pour, ô miracle, empêcher la délocalisation.
Là encore, aucune illusion. Il y a un monde entre
la consultation virtuelle de photographies, et l'acte d'achat
de sous-vêtements. D'ailleurs, si la corrélation
était mécanique, comme Aubade est de loin la marque
la plus connue dans son domaine justement à cause
de cette remarquable série de photographies, elle devrait
être au top de ses ventes et pas en train d'empiler les
plans de secours. Or le fait est là , les ventes
baissent inexorablement... Comme quoi, et ce sera notre leçon
à nous aux élèves des écoles
de market, la bonne campagne de pub, c'est celle qui fait connaître
la marque d'un produit que les gens ont envie d'acheter, pas
celle qui essaie de leur faire acheter quelque chose dont ils
ne veulent pas. Et la qualité de la campagne ne changera
rien à cette affaire là .
Alors? Alors rien, je ne sais pas. La pub pour
les phonographes de la Voix de son Maître étaient
formidables... Mais le phonographe n'est plus et le petit chien
cherche désespérément un pavillon où
coller son oreille. Pour Aubade, ce sera peut-être différent?
et on pourra peut-être encore coller notre joue au creux
du body? Le creux du body sans doute, le body made in France,
pas sûr.
Ah, est-ce
que je vous ai dit que l'agenda 2007 d'Aubade était sorti?
Superbe! Achetez-le vite parce que ça pourrait
bien devenir un vrai objet de collection. C'est Michel Pérez
qui officie derrière l'objectif, le photographe officiel
des leçons numérotées depuis la leçon
54.
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