Je devisais tranquillement au coin du feu avec le Cap’taine Cap, lorsque la conversation vint sur l’affaire Cahuzac.
C’est quand même formidable, hein? Me dit le Cap’taine.
Formidable? mécriais-je. C’est une véritable catastrophe, plutôt.
Le cap’taine me regarda d’un air mi sérieux mi oronique.
Mais non, je le maintiens, cher ami, c’est formidable.
Ah bah, rétorquai-je, voyez le désastre: la classe politique se déchire, nos dirigeants sont décribilisés, les journalistes déterrent chaque jour une nouvelle affaire, c’est plutôt le chaos et la porte ouverte à toutes les dérives. Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de formidable là-dedans.
Je suis d’accord avec vous, quelqu’un a ouvert la boite. Mais justement murmura de sa voix de baryton le vieux loup de mer, c’est ça qui est inespéré. Actuellement, vous entendez les cris de la volaille qui s’agite dans le poulailler en espérant faire assez de bruit pour couvrir les révélations que les membres de ce fameux Consortium des journalistes d’investigation vont publier inlassablement dans les jours, les semaines et les mois qui viennent. Pensez plutôt à cette chance inouie : la presse et je l’espère les juges dans leur sillage vont enfin braquer le projecteur sur cette fameuse finance et tous ces malfaisants qui se drapent aujourd’hui dans leur dignité outragée. Vous verrez que Cahuzac nous apparaîtra alors comme un bien petit malfaisant et qu’au contraire son aventure sera vue comme le premier petit panache d’un volcan en train de se réveiller, comme le signe précurseur et salutaire d’une vraie révolution des esprits et des lois comme aurait dit mon cher Montesquieu.
D’ailleurs, ajouta le Cap’tain d’un oeil malicieux, le travail de décryptage des journalistes sur ces gigantesques fichiers s’avère si difficile, les montages financiers si embrouillés et plus embrouillés encore qu’ils concernent des affaires importantes ou des personnages considérables, que les révélations seront de plus en plus incroyables et spectaculaires. Alors nous n’aurons, enfin, plus d’autre choix que de légiférer sagement pour interdire ces montages, et mettre un peu d’ordre et de probité dans ce marécage d’argent sale.
Aujourd’hui tout le monde bat le tambour sur ce ministre indélicat, mais parmi ceux qui le battent le plus fort nous découvrirons bientôt avec stupeur qu’ils s’agitaient surtout pour détourner l’attention de leurs propres turpitudes. Je vous le dis, c’est formidable : les juges avancent dans nombre d’affaires, les journalistes emboitent le pas, les politiques seront bien obligés de suivre la manoeuvre. Il faudra juste empêcher le général Boulanger de monter sur sa barricade.
Le Cap’taine se rembrunit.
Oui il faudra juste veiller à ne pas le laisser empiler ses tréteaux de faux prophète. Et dès qu’un de ses semblables se mettra à hurler « Je vous l’avais bien dit » et « Tous pourris » en tendant un doigt accusateur, remonter la main et la manche jusqu’à la figure de l’accusateur, et lui demander gentiment de rentrer chez lui et de prêter la main au rétablissement d’un peu de moralité dans nos affaires publiques… et dans les siennes sans la ramener plus que ça.
Souvenez-vous mon ami, conclut-il : les entreprises ont une « raison sociale » et leurs dirigeants sont des administrateurs de cette raison sociale… Où voyez vous écrit qu’elles sont des mafias et leurs dirigeants des gansters? Allez, au travail.