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Graffitis et Pochoirs  

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Un texte de Nemo ( 26 Novembre 1996)

 

Une ville sans graffitis serait comme une rivière sans poissons
 

A Bogotá comme ailleurs, les urbanistes et les architectes s'occupent de l'avenir collectif et du bien commun avec plus ou moins de bonheur. Les grues envahissent le ciel, les pelleteuses broient définitivement les traces du passé, le béton coule. La ville vit, les murs meurent. Défiant la modernité ambiante, lambeaux de mémoire ou blessures urbaines, ces murs abandonnés, dégradés, parsèment la cité, imposant leur sinistre présence. Le regard du passant tente de les ignorer tant est grand le sentiment de tristesse attaché à de tels espaces. Edifices en attente de démolition, maisons murées, palissades infâmes, ces aberrations visuelles envahissent un quotidien déjà suffisamment douloureux.

Bogotá - l'ancien marché de San Victorino -

Depuis pas mal d'années, je "bombe" sur des murs délabrés de grandes cités, estimant que se sont des espaces à colorier et qu'il est possible d'inverser le sentiment de chagrin engendré par leur état de désolation. Dans des quartiers qui souffrent de quelque chose et qui, malgré toutes les atteintes, possèdent encore une histoire et véhiculent un mythe. Ou bien à des endroits de la cité à haute valeur symbolique. Paris : Belleville, Ménilmontant, Pont de Crimée; Lisbonne : Bairro Alto, Alfama, ligne de tramway N° 28; Bogotá : La Candelaria, le mur du Palais de Justice sur la Séptima, El Cartucho (si je peux) ...

Un "bombage" représente une image possible parmi d'innombrables autres, une petite scène, comme une vignette dans une bande dessinée ou comme une vision fugitive dans un songe. Parfois, c'est un mur précis qui fait naître l'idée d'un bombage, d'autres fois c'est tout le contraire, j'ai une idée de bombage pour laquelle j'attends de trouver le mur correspondant.

Je conçois puis découpe des pochoirs en carton pour définir les éléments d'une image désirée, d'un bombage. Il y a redondance des éléments utilisés : la silhouette noire d'un homme portant gabardine et chapeau feutre, un parapluie, une petite valise, un ou plusieurs ballons, oiseau(x), fleur(s)... Il y a redondance aussi dans la nature même du concept de pochoir, puisqu'il a - depuis toujours - pour fonction première de permettre la reproduction à l'identique. La difficulté est de jouer avec cette redondance, c'est-à-dire de ne pas répéter bêtement, mécaniquement. De donner donc de produire du nouveau. De créer ainsi de la surprise malgré la familiarité - un mélange de contraires. Finalement, mener une digression sans message, sinon qu'il reste possible de sourire et de rêver. Car puisque Nemo c'est personne, comme tout le monde donc, il rêve.

Enfin, dans la rue - phase action - je projette de la peinture avec des bombes aérosol sur les pochoirs sélectionnés. A des endroits préalablement repérés. Le jour voulu. Et non la nuit : je ne me cache pas et cela me permet d'être en contact direct avec les habitants du quartier et avec les passants.

Mon but consiste à proposer à ce public si varié "des gens de la rue" une série d'images uniques offrant chacune une variation d'interprétations la plus libre et donc la plus large qui soit. L'important n'est pas dans ce que je pense, dans ce que j'ai voulu ou tenté de dire, mais réside au fond de l'émotion unique, particulièrement intime et lointaine, ressentie par ceux qui se sentent "touchés" par cette forme d'expression.

A Bogotá, par exemple, j'entreprends de peindre une centaine de bombages, tous différents bien sûr. De réaliser une série dans laquelle le bonhomme noir se déplacera dans toute la ville en utilisant des moyens de locomotion différents : à pied d'abord, en pirogue ensuite, puis en vélo à une roue, en vélo à deux roues, en tandem, en moto, à ski, en patins à roulettes,... Toujours avec quelques accessoires en couleurs. Avec des variantes typiquement "colombiennes", un bateau en papier ("Como un barco de papel"), un chariot à roulettes, un hamac, un perroquet ... !

Bogotá - le palais de justice -

D'incessants et répétitifs messages visuels défigurent la cité de la façon la plus légale qui soit. La publicité et la signalétique règnent en maîtres absolus sur l'univers des images urbaines, produites par milliers pour des millions de gens. Les graffitis politiques ou personnels tentent de faire diversion mais ils restent minoritaires ou pauvres. Un manque existe dans les villes. Il s'apparente à ce que nous vivons dans les rêves, sans que je ne puisse aucunement justifier cette intime conviction. Mon travail va dans cette direction. L’intervention graphique dans la cité ne saurait cependant se prévaloir d'être la seule voie possible pour combler cette absence. Heureusement d'autres formes existent.

En tout cas, l'expérience graphique ne se résume pas aux oeuvres picturales qui se réalisent et s'admirent tranquillement à l'intérieur de lieux clos, protégés et dédiés à l'usage d'un certain regard. L'extérieur existe bel et bien; il offre une myriade de territoires suspendus au temps, des brèches éphémères mais sans cesse renouvelées, qui permettent l'expression publique d'une créativité graphique; d'une liberté et d'une humanité donc.

Et d'une résistance active toujours aussi nécessaire.

 

Nemo

 

 

 

Bogotá - 26 novembre 1996 - Envoi à la revue Carnet de Bord - Association Française pour l’Action Artistique
Ministère des Affaires Etrangères - Paris

Texte publié en mars 1997

 
 

 
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