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La lumière se mérite.
C'est avec cette petite phrase bien calée dans le coin de ma tête que je me suis levé cette nuit là pour l'expédition au volcan Bromo. Situé à l'est de Java, dans la partie volcanique de l'île, le Bromo n'est ni le plus haut, ni le plus actif, mais il est peut-être le plus venéré. Magie du lieu, superstition, allez savoir? Et notre mont saint-michel est là pour nous rappeler que la rencontre entre spiritualité et paysage ne sont pas l'appanage des civilmisations lointaines. Il fait encore nuit et le car semble se faufiler furtivement sur la petite route qui serpente entre les plantations de thé dont on ne fait que deviner le velouté des courbes sous l'éclat brutal des phares. A l'intérieur, peu de bruit, encore moins de conversations. Quelques uns finissent une nuit bien trop courte, d'autres ferment les yeux pour vaincre les tentations d'évasion d'un petit déjeuner avalé à la va-vite, les derniers fixent la nuit qui enserre le paysage, comme si leur concentration allait avoir le pouvoir de leur dévoiler les mystères de cette ascension tourbillonnante.
Je me replonge avec délices dans des pensées imprécises, faites de sensations et de vagues associations sensorielles, de souvenirs confus et de somnolences paisibles. Depuis dix jours, les manchettes des journaux montrent le volcan vomir des torrents de fumée et hier encore, notre sortie semblait bien compromise. De compromise elle s'est transformée en compromis: nous n'irons pas au sommet qui surplombe l'immense caldeira: trop dangereux et interdit par les aurotités, mais rejoindrons un sommet voisin d'où nous pourrons malgré tout admirer, à distance respectueuse, le volcan et sa mauvaise humeur.
Le car stoppe brutalement. Dehors, des ombres s'agitent en silence. Le froid est très vif, l'obscurité presque totale et sans les maigres lueurs de deux ampoules au bout de leur fil dans l'embrasure d'une porte, rien ne nous permettrait de deviner que nous stationnons sur la petite place d'un village montagnard, dont l'activité se partage en fait entre l'agriculture et le tourisme. Commerce oblige, la première halte permet aux plus étourdis de louer blouson de duvet, couverture et lampe de poche. Vient ensuite la cérémonie du cheval. Une dizaine de villageois, pour quelques heures rebaptisés guides, se pressent de toutes part, en nous tendant la longe de leur petit cheval. Le chemin n'est pas long, mais certains se laissent tenter et devant la mine déconfite des laissés pour compte, je me dis que j'aurais du en enfourcher un. La colère du volcan a tari pour un temps le flux de touristes et la moitié de ces hommes se seront levé pour rien. Notre car sera le seul de la journée.
La petite colonne s'ébranle enfin, pour une demi heure d'ascension, chevaux et piétons mélés dans une joyeuse bousculade. A l'est, le ciel rosit peu à peu et comme par miracle, des étoiles scintillent maintenant au dessus de nos têtes : les nuages, honteux de notre malchance, ont décidé de nous accorder au moins la meilleure vue possible de ce volcan que nous n'avons pas le droit d'approcher.
Nos guides, à bien les regarder, ressemblent aux guides des andes. Est-ce l'altitude, la rudesse du climat qui fait que tous ces hommes des montagnes se ressemblent? Le silence se fait dans la petite troupe, troublé seulement par des tintements crtistallins qui montent de la vallée. Sans prévenir, le soleil surgit dans notre dos et comme s'ils avaient attendus cet instant deux villageois surgis de nulle part passent dans un froissement d'herbes, souriants et concentrés sur leur marche.
Oui, la lumière se mérite.